lundi 14 mars 2011

Quand Vélasquez passe sur le pont, analyse de l'album "Moi, princesse Marguerite"

La Marguerite dont il est question, c'est l'infante Marguerite-Thérèse d'Espagne, que voici, peinte par Xavière Devos, d'après Diego Vélasquez :


Que voilà, peinte par Pablo Picasso, toujours d'après Vélasquez :


Quant au pont... Il s'agit du pont des arts, et pas celui qui surplombe la Seine, lien entre le musée du Louvre et l'école des Beaux-Arts. "Pont des Arts" est le nom d'une collection chez Élan vert. On y trouve des oeuvres d'art, jardins dans lesquels on se promène le temps d'une fiction. Le pont est donc celui de l'histoire qui nous mène à petits pas jusqu'à l'art. Adepte de ce point de vue (approche subjective, sensible de l'art, et non didactique), j'avais déjà participé à l'excellente revue "Dada", quand elle contenait encore de la fiction à l'époque de ses créateurs Héliane Bernard et Alexandre Faure. Le principe était identique : écrire un texte qui invite le lecteur à regarder l'art comme une oeuvre vivante, avec des personnages qui parlent, agissent, ressentent, etc. L'imaginaire de l'auteur proposant au lecteur / spectateur de faire le pas à son tour, et d'inventer une histoire. Car l'écriture finalement, n'est autre qu'un regard sur le monde. La différence avec l'écriture d'un album normal repose ici en son point de départ. D'un côté la réalité, de l'autre une image. Image, parce que cela peut être une sculpture, une photo, une peinture.
Monde-art...


Mon choix s'est porté sur Les Ménines de Diego Vélasquez car c'est un tableau fascinant, mystérieux. Peint en 1656, il est aujourd'hui au musée du Prado, à Madrid.
Quel en est le sujet ? Qui peint qui ou quoi ? Qui est qui ? Le titre renvoie aux ménines, ces demoiselles d'honneur au service de l'infante Marguerite, mais elles ne constituent pas le sujet principal de l'oeuvre. Alors qui ? La princesse ? Elle est au premier plan, certes, mais ce n'est pas elle. Je l'ai pourtant élue "prem's" dans mon texte, elle en devient la narratrice car dans le tableau elle a l'air de commander, de poser, d'en imposer.
"A l'air", car celui qui commande somme toute, c'est le peintre.
Que peint-il, déjà ? Pas l'infante donc, il ne va pas représenter la fille du roi Philippe IV de dos. Ou bien si, l'infante, mais pas que.
Les ménines, l'infante, mais aussi les nains qui "amusaient" la cour, et dont la laideur et les difformités physiques ou mentales rappelaient aux gens normaux et sub-normaux (de sang royal, au-dessus de tous) qu'ils étaient beaux et intelligents.


Et si le sujet principal était le peintre lui-même ? Il se représente en train de peindre la vie à la cour. Est-ce tout ? Que fixe-t-il ?
Il fixe ce qui est hors cadre. Nous par exemple, qui le regardons. Mais avant nous, il les peint, eux, on les voit dans un miroir situé à l'arrière-plan, près d'une porte dérobée.
Eux...


Eux !


Mais eux !


Mais eux, voyons !


Pour faire un portrait... Il faut des tonnes de patience, rester des heures, des jours sans bouger, garder la pose... Eh oui, poser pour l'éternité demande du temps. Contre l'immobilité, contre l'ennui, un remède : Marguerite !
Marguerite et sa petite cour de ménines, de nains et de gardes vient donc divertir le couple royal en train d'être immortalisé par Vélasquez.
Et que fait la fillette pour s'occuper ? Dans mon histoire, elle joue à "un, deux, trois... soleil". Ce qui me permet de faire entrer dans la pièce du palais tous les personnages du tableau et de les faire se déplacer dans l'espace du même tableau. Ainsi, le lecteur de l'album découvre peu à peu qui est qui, qui est où, et ce jusqu'à ce que chacun gagne sa place définitive. Le peintre dit alors :
- Là ! Vous êtes tous bien où vous êtes. On ne bouge plus !


Xavière Devos, l'illustratrice, a joué le jeu avec talent, alternant les points de vue, les angles d'approche, de face, de côté, derrière, plan large, rapproché... choisissant tantôt le regard de la princesse, tantôt l'oeil du peintre, et promenant celui du spectateur, bien sûr.
L'une des multiples caractéristiques des Ménines est qu'on ne peut voir tous les personnages en même temps, on est obligé de passer de l'un à l'autre, de parcourir l'oeuvre.
Xavière et moi avons fait de même avec l'illustration et le texte.
Regardons encore une fois Les Ménines, différemment peut-être.


On les retrouve là, sous le pinceau de Picasso qui en réalise toute une série :
il peint 58 tableaux entre le 17 août et le 30 décembre 1957.



Moi, princesse Marguerite joue au jeu de la pose-statue-soleil chez vos libraires chouchous dans la très belle collection "Pont des arts", Diego Vélasquez par Xavière Devos aux côtés de Marc Chagall par Élise Mansot, Paul Klee par Peggy Nile, Joan Miro et le Douanier Rousseau par Vanessa Hié, portés par des auteurs tels que Véronique Massenot et Hélène Kerillis, entre autres. Une collection à découvrir absolument !
Comment finir ? Par une porte qui ouvre sur tout ce qu'on veut.





2 commentaires:

  1. Superbe démarche ! Merci de fournir aux enseignants des outils aussi précieux ! On attend avec impatience le prochain...
    Cathy J

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    1. Merci ! Le "prochain" vient de paraître, je n'ai pas encore pris le temps d'en parler. Il s'agit de la célèbre "Chambre" de Vincent Van Gogh. Le titre, toujours chez Elan vert, dans la même collection Pont des arts : "Pirate des couleurs". Bientôt, promis, des nouvelles de Barberousse.

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